par Attia Élodie, Aix-Marseille Université, CNRS, TDMAM UMR7297, 13094, Aix-en-Provence, France

Dans le cadre de la mise en oeuvre du projet MBH démarré en septembre 2016, l'exposé de Javier del Barco amène à réagir sur plusieurs points.

Le projet MBH a pour but d'analyser de façon systématique et pour la première fois une centaine de manuscrits bibliques ashkénazes hébreux produits jusqu'à environ 1300. Un outil d'aide à l'analyse est en cours de développement, mais celui-ci n'est pas un catalogue numérique comme Javier del Barco a pu nous le présenter : il s'agit d'une base de données conçue comme un outil de recherche quantitative permettant le regroupement de sources et d'informations de différentes natures et de provenance diverses, par exemple, des descriptions de catalogues papier, des notices numériques (type Archives BNF, ou celles de la BL), des données publiques publiées par d'autres bases de données (Sfardata, BWB), et enfin des données issues de la recherche et d'examens personnels faits directement sur les manuscrits dans le cadre du projet MBH. Toutes ces données doivent être regroupées et surtout évaluées dans le but d'élaborer une typologie des manuscrits bibliques produits en un temps et en une période donnée (ici Ashkénaze jusqu'à 1300 environ). Elles seront également mises en ligne, à disposition de la communauté scientifique. Elles pourront aider, le temps voulu, et si des volontés se manifestent en symbiose, à l'édition d'un catalogue.

L'exposé de Javier del Barco interpelle sur la multiplicité des informations mises en ligne et la qualité variable de ces informations, ce qui n’est pas sans poser problème dans un traitement méthodique. Sans vouloir juger de ce qui a été fait avant nous, puisque chaque travail est fait en fonction de différents paramètres (temps alloué, financement, urgence ou pas de la réalisation), il faut pouvoir construire sa recherche en vérifiant les données et si possible en donnant des éléments sur la qualité de la vérification. Pour répondre à une exigence de transparence, la base de données MBH doit être capable de donner des informations sur ces résultats mis en ligne, sur leur qualité et la hauteur de leur fiabilité. Par exemple: "Tant de bibles sont deux colonnes avec Targum mis en marge extérieure, mais cette information est basée sur x% vérifiée à partir de de consultation en ligne, x% de consultation directe, x% de consultation de catalogue.". Nous pensons que ce type d'information (transparente) pourra permettre aux futurs chercheurs de savoirs où continuer les travaux. Cela doit permettre, dans l'idéal, une meilleure visibilité des étapes de développement d'un travail de recherche.

Malgré la numérisation des sources et leur mise en ligne, ou de certaines logiques de catalogage (Voir Andrist, Going on-Line is not Enough!), l’examen de l’objet matériel continuera de rester une nécessité pour les spécialistes qui cherchent à décrire et comprendre des objets, leur production et leur contexte (au grand dam des conservateurs qui privilégient parfois la mission de conservation sur la mission de mise à disposition). Il y a des éléments relevés méthodiquement restent perceptibles et concevables uniquement sur consultation de l’original (teinte des encres, attributions des mains paléographiques, structure des cahiers, mesures) et que surtout, l’objet scanné sur écran ne peut remplacer les sensations et l’appréhension au contact d’un artefact réel. Par exemple, l'impression physique n'est pas du tout la même d'avoir devant soi la Bible géante Paris hébreu 4, une bible géante complète en un volume mesurant 478 x 341 mm (45 kg de parchemin - à ce propos pourquoi le poids des livres n'est-il pas une donnée mesurée dans les catalogues au même titre que la hauteur et la largeur?) et la Bible Paris hébreu 33, une bible minuscule de 98 x 77 mm (200 gr de vélin). De même, l'impression physique n'est pas la même de consulter séparément trois volumes d'une Bible géante (Paris 1-2-3, datée de la fin du XIIIe siècle, dim. 389 x 328 mm) qui apparait moins "géante" distribuée en trois volumes que la Bible Paris hébreu 4 préservée en un seul énorme volume. Enfin, consulter en ligne le ms. Paris 1-2-3 ne permet pas d'avoir une idée de sa taille (ci-dessous numérisé à partir du microfilm, sans aucune échelle).

Capture écran de la numérisation du microfilm du MS Paris BNF Hébreu 1 (début d'Exode)

Capture écran de la numérisation du microfilm du MS Paris BNF Hébreu 1 (début d'Exode)

Dans le cas de Paris hébreu 33, si la numérisation est un absolu bienfait pour étudier le texte, et d'autant plus lorsqu'il est minuscule (voir ICI la notice sous Gallica de Paris hébreu 33 du même objet ), on aurait quelques efforts d'imagination à faire pour garder possible l'appréhension de l'objet. C'est pourquoi le projet MBH prévoit une sortie graphique et visuelle à l'échelle humaine de chaque item décrit dans la base en fonction des différentes dimensions qui auront été saisies. Quelques numérisations en trois D de certains volumes pourraient également être envisagées afin d'enrichir cet aspect.

Photo de l'objet Paris BNF Hébr 3 (avec échelle), manuscrit de 10 mm par 10 mm

Photo de l'objet Paris BNF Hébr 3 (avec échelle), manuscrit de 10 mm par 10 mm

L’absence de projet de numérisation des textes (leur édition) est un point important soulevé lors de la discussion par Philippe Cassuto. La séparation entre la philologie et la codicologie, selon lui, n’a pas vraiment de sens car on cherchera toujours à connaître à un moment donné le texte porté par tel artefact, et vice versa, la matérialité de tel ou tel texte auquel l'on s’intéresse. La matérialisation du texte dans l’histoire donne des clés de compréhension, de même que le texte écrit peut éclairer l’usage et la forme d’un artfefact produit. Le projet MBH prévoit de rechercher des éléments textuels, pas d'éditer les textes. Les projets autours des fragments de manuscrits hébreux conservés dans les reliures de bibliothèques anciennes n’ont pas été évoqués (tel Books within Books Database) qui rassemble les recherches de plusieurs pays européens et allie contenus identifiés à des éléments descriptifs codicologiques et paléographiques. Il est vrai, toutefois, qu’aucun texte de fragment n’est édité dans cette base de données car cela n'a jamais été son but. Une coopération de projet semblerait ici idéalement utile et nécessaire.

En conclusion, si la numérisation des catalogues de bibliothèques et celle des images des manuscrits sont a priori une bonne chose tout en soulevant certaines interrogations comme le souligne Javier del Barco dans sa présentation, elle rend à nos yeux le projet MBH sur les bibles hébraïques imaginable et faisable qu'il y a 40 ans, ce qui est déjà beaucoup. En effet, le corpus des bibles compte tellement d’éléments qu’il a longtemps découragé les analyses systématiques fautes de moyens adéquats pour en faire le tour de façon cohérente (voir Ornato, Maniaci, Muzerelle 2000). Il est donc clair que les numérisations rendent potentiellement plus facile l’étude de certaines de leurs caractéristiques, même si cela ne résoudra pas tout. C’est la raison pour laquelle le projet MBH devrait, par exemple, préserver et développer une approche quantitative des descriptions codicologiques et surtout paléographiques qui font défaut dans la plupart des cas où les manuscrits ne sont pas datés, tout en se positionnant par rapport aux informations déjà existantes de catalogues et bases de données. La question du texte est aussi une question importante et il faudra se pencher sur  le repérage de famille de variantes et divergences (Cassuto 1989). En cela, le projet ANR MBH souhaite participer activement à construction scientifique d'un véritable champs d'étude de la Bible hébraïque au Moyen Âge, objet-livre au texte si particulier mais dont la production tardive européenne est souvent négligée.

Élodie Attia, le 16 janvier 2017

Bibliographie sélective de l'article:

Andrist, P., "Going online is not enough! … Electronic descriptions of ancient manuscripts, and the needs of manuscript studies", in : T. Andrews, C. Macé (ed.), Analysis of Ancient and Medieval Texts and Manuscripts: Digital Approaches, Turnhout, 2014, 309–334.

Cassuto, Ph., « La lettre comme forme : les bases d'une édition des divergences de la Bible hébraïque », Henoch 11,1 (1989) 3-16.

Maniaci, M. Muzerelle, D., Ornato, E., "Une Bible… mais encore? Le portrait des manuscrits bibliques dans la catalographie moderne", in J. M. M. H. Rita Schlusemann, and Margriet Hoogvliet (ed.), Sources for the History of Medieval Books and Libraries [fourth international Codicologendagen, University of Gronngen, 8-11 October 1996] (pp. 291-309). Groningen: Egbert Forsten, 1999, 291-309.

 

Source : https://mbh.hypotheses.org/566