par Attia Élodie, Aix-Marseille Université, CNRS, TDMAM UMR7297, 13094, Aix-en-Provence, France

(Document de travail, rapport d’événement)

Le workshop qui s’est déroulé à Cambridge (19 mai 2017) sous l'égide de Geoffrey Khan, Regius Professor of Hebrew, University of Cambridge (UK), a rassemblé essentiellement des linguistes et spécialistes de la grammaire et de la prononciation de l’hébreu, mais aussi des historiens de la langue hébraïque, des historiens du texte et des codicologues et paléographes.

Vocalization Workshop 2017's Programme

A/ Observations générales personnelles

Les nombreux sujets abordés ont permis d’éclairer, sous différents angles, la question des sources qui permettent de connaître l’hébreu médiéval et le texte biblique écrit mais aussi sa prononciation (Présentations n° 1, 2, 8, 10, 11, 13), du rapport entre les traditions babyloniennes, palestiniennes, tibériennes (3, 4, 5, 9), des normes qui s’imposent ou non comme standard au cours de l’histoire (7) ainsi que des ‘qualités’ des bibles mises par écrit en Orient et en Ashkénaze (6, 12).

Sans faire un tour exhaustif de chaque lecture, certaines communications ont, pour ainsi dire, piqué la curiosité : je pense en particulier à la question de la prononciation du - yod waw (dont on a discuté dans la journée la forme médiévale écrite avec shewa ou avec mappiq), et la prononciation de l’hébreu andalou selon la métrique arabe classique qui nous a interrogé sur l’influence que la prononciation ashkénaze de l’hébreu au Moyen Âge (avec l’accent de Langue d’Oïl ou allemand) pouvait avoir sur la mise par écrit des Bibles de cette même aire géo-culturelle et leur compréhension. En ce qui concerne le projet MBH, se sont les présentations 4, 6 et 7 qui nous ont le plus concernées. Elles ont conforté les orientations du projet MBH à savoir 1) pour élaborer une typologie des manuscrits bibliques à l’époque médiévale, la comparaison des types de livres à d’autres aires culturelles (par exemple ici Orientale) demeure une source d’inspiration pour traiter de la question européenne et où la question des variantes textuelles peut jouer un rôle déterminant. Il est évident que les bibles produites en Orient sont plus anciennes que les bibles européennes préservées, numériquement attestées par les fragments de codices eux-mêmes et par les documents écrits retrouvés dans la Genizah du Caire qui mentionnent des Bibles manuscrites. Ces informations secondaires donnent vie à tout l’arrière-plan de production de ces manuscrits bibliques[1]. La diversité des traditions de vocalisation babylonienne, palestinienne et tibérienne est plus facilement remarquable dans les sources orientales, car en Europe ces traditions ont pu être connues mais sont progressivement remplacées par la tradition tibérienne triomphante (Khan 2012). La question des « Bibles populaires » traitées par Ben Outhwaite, exprime l’idée de codices qui seraient en deçà de la copie massorétique corrigée et examinée par un massorète de l’école de Ben Asher, et qui permettent de penser à tout un ensemble d’autres contextes où des bibles pouvaient être utilisées. Pour repérer ces contextes, l’observation du texte comme les absences/présences d’accents (rafé, l’usage du metegh/gaya), la qualité des voyelles et leur interchangeabilité, les variantes introduites volontairement ou non par rapport à la tradition dite standard sont très utiles. De même que les mises en page et texte qui rappelle les livres produits en contexte majoritaire et dont il faut penser à l'influence. Tout cela rappelle la démarche similaire avec laquelle le projet MBH doit rassembler des informations sur les bibles hébraïques médiévales avant 1300 et produites en monde occidental (ashkénaze). Le projet MBH a pour objectif d'étudier un corpus de manuscrits bibliques, de joindre des éléments matériels (codicologiques et paléographiques) à certains éléments textuels pour permettre de préciser la fonction et les types de bibles copiés avant 1300 dans les sous-régions de l'aire ashkénaze (Angleterre, France du nord, Vallée du Rhin, Italie du Nord). La vocalisation et l’accentuation du texte font partie des éléments textuels.

B/ Au sujet de ‘On Some Variants in Ashkenazic Biblical Manuscripts from the end of the 12th and the 13th century: Valmadonna 1, Vat. Ebr. 14 and Or. Qu. 9, Vat. Ebr. 482’

Dans le cadre de ce workshop, notre présentation a repris deux études :

  • L’étude de F. Perez Castro (1977).
  • Et l’ensemble des variantes textuelles que nous avons établies dans notre  récente monographie (Attia 2015)

L’étude de Perez Castro cherchait à démontrer la proximité des manuscrits séfarades avec la tradition tibérien ben ashérienne en comparant Leningrad Codex L19a avec deux manuscrits tibériens (Or 4445, Prophètes du Caire), deux manuscrits séfarades (M1 et Codex Hilleli du JTS) et deux manuscrits ahskénazes (Escorial G-I-1 daté de 1306, de style français, dont nous confirmons la localisation à Flavignac[2], et Paris 1-2-3 daté de 1286 et de style germanique). Dans ce cadre, M1 et Hilleli apparaissaient comme très peu variants par rapport à L, donc très « fiables », en ce que le texte tibérien de L est considéré comme référent.

Notre travail (Attia 2015) cherchait à tester le rapport entre la massore ashkénaze micrographiée du XIIIe siècle et la massore d’un groupe plus large de manuscrits tibériens (L, Or 4445, Damascus Pentateuch, M1) en partant, pour plus de pertinence, de manuscrits ahskénazes plus anciens datés de 1189 (Valmadonna 1), 1215 (Vat Ebr. 482), 1233 (Or. Qu. 9) et 1239 (Vat. Ebr. 14). Ce travail d’édition, quoique partiel (seulement 13 folios édités) avait néanmoins abouti au relevé de 163 lemmas (termes bibliques) sur lesquels portaient des notes massorétiques. Ainsi, pour ce workshop, il semblait pertinent de faire un tour d'horizon de ces variantes dans Vat14, V, B et R, d’autant que l’ouvrage édité en 2015 s’occupait essentiellement de conclure sur la qualité des notes massorétiques écrites dans les micrographies figurées et qu’aucun bilan n’avait été tiré des variantes des lemmas.

Sur les 163 lemmas édités, 70 lemmas présentent une ou des variantes. Les catégories de variantes utilisées par Perez Castro leur ont été appliquées : cela a permis de repérer des faits similaires (peu de variantes consonantiques, beaucoup de variantes d’accents et de points diacritiques) et à la fois de réévaluer la façon dont on peut considérer les manuscrits ashkénazes tardifs. En effet, pour Perez Castro, dont le but avoué était d’estimer la qualité des manuscrits séfarades, les manuscrits ashkénazes s’éloignaient énormément (se alejan muchissimo) de la tradition tibérienne, ce qui avait été déjà observé par Elijah Lévita dans son Massoret ha-Massoret. Toutefois, selon les résultats de Perez Castro, le MS Escorial G I-1 est proche du manuscrit des Prophètes du Caire (C) en nombre de variantes. Ce qui veut dire que ce manuscrit franco-ashkénaze tardif n'est pas plus variant que le fameux Codex C vis à vis de L. À notre tour, à partir de sources différentes de celles choisies par Perez Castro, à savoir plus variées côté tibérien et plus anciennes côté ashkénaze, nous observons que les manuscrits de notre corpus semblent avoir trois comportements : soit ils suivent la tradition séfarado-tibérienne (R le plus souvent), soit ils offrent une voie propre (Vat 14 et V) soit ils sont extraordinaires et très variants (B tout comme Paris 1-2-3 semble procéder à première vue dans l'étude de Perez Castro). La prononciation de l'hébreu dans l'aire ashkénaze semble bien expliquer certaines variantes de vocalisation observées.

Il semble donc fondamental de mieux qualifier certaines variantes des manuscrits ashkénazes, afin de corroborer l’existence avant 1300 de traditions locales au sein de l’aire ashkénaze. Un groupe de variantes propres à un groupe paléographique déterminé pourrait nous aider: ici le groupe anglo-normand avec Vat14, V et peut-être B. Cela nous permettrait de mieux rattacher l’objet-bible à son contexte géo-culturel précis et, on l’espère, de mieux déterminer sa fonction et son type.

Élodie Attia

(Document de travail, rapport d’événement, proceedings prévus en anglais)

[1] Malheureusement, pour l’Europe médiévale, nous manquons de ces données secondaires vitales (listes des livres confisqués, rachetés par les communautés, nombre de livres, publicité des scribes), mais il ne faut pas désespérer : les listes de livres des actes de vente et actes notariés médiévaux (dont nous avons travaillé certains par exemple sur Trets <hal-01405054>) permettent, malgré tout, de rassembler quelques informations sur ce sujet.

[2] La base de données Sfardata Notice 0S014 évoque  « פילאוינק [היושבת במדינ<ת> קיארצין] Flavignac ? » que l’on peut traduire par Flavignac (en Haute-Vienne, Aquitaine), qui se trouve dans le pays des Carsins (habitants du lieu dit 'Les Cars'). Javier del Barco, dans son catalogue de 2003, p. 140, propose une lecture qui ne nous convainc pas (בילאוינק קיארצין). Perez Castro proposait « escrito en Pilawoinaq, de la provincia de Chersin (p. 109)» ce qui laissait penser à une province ukrainienne (Cherson) communiquée par notre collègue Viktor Golinets. Mais le style français ne confirme pas cette hypothèse.

Bibliographie uniquement citée dans le billet:

Attia, É. (2015). The Masorah of Elijah ha-Naqdan: An Edition of Ashkenazi Micrographical Notes (Ms. Vat. Ebr. 14, Book of Exodus) (11). Berlin/Boston: De Gruyter.

del Barco del Barco, F. J. (2003). Catálogo de manuscritos hebreos. Vol. 1. Madrid: CSIC.

Khan, G. (2012). A Short Introduction to the Tiberian Massoretic Bible and its Reading Tradition. Piscataway, NJ: Gorgias Press.

Pérez Castro, F. (1977). Códices bíblicos hebreos; evaluación comparativa de varios manuscritos toledanos, askenazies y orientales. Sefarad, 37, 105-162.

 

Source : https://mbh.hypotheses.org/554